Contexte de la recherche
Qu’il s’agisse de l’Algérie ou de la Tunisie, les trois siècles de domination ottomane, entre le XVIIe et le XIXe siècle, furent particulièrement riches et productifs d’un point de vue artistique. Le foisonnement des réalisations architecturales constitue un témoin notable de cet âge d’or. En effet, la construction de palais aux décors somptueux fut, semble-t-il, une nécessité pour tout personnage politique qui souhaitait durablement asseoir son autorité. Ces palais constituaient donc de véritables lieux de pouvoir mais ils étaient aussi conçus en fonction de différents usages (résidence d’été, lieux de stockage voire hôpital…).
Dans le cadre de ce projet, nous nous sommes tout particulièrement intéressés à quelques uns des palais des villes d’Alger et de Constantine en Algérie (Dar Mustapha Pacha, Dar Ben Abdallah, Dar Aziza...), ainsi qu’à ceux de Tunis et de sa banlieue en Tunisie (Palais Zarrouk, Palais du Bardo, Palais Abdalleya, etc.). Voici, dans un premier temps quelques éléments historiques qui permettent de remettre en contexte la construction de ces joyaux architecturaux.
L’IMMENSITÉ D’UN EMPIRE
Avec François Georgeon et Robert Mantran, revenons tout d’abord sur la notion d’« Empire Ottoman » : « Édifié lentement, au début du XIVe siècle, sur les ruines de l’État seldjoukide d’Anatolie, puis au XVe siècle, sur celles de l’Empire byzantin, l’État ottoman, après la prise de Constantinople le 29 mai 1453, est devenu l’une des puissances majeures de l'Europe et du Proche-Orient. Bien administré, doté d'une armée solide, il a constitué au XVIe siècle et pendant une partie du XVIIe une menace sérieuse et constante pour les puissances européennes. Maître de la Méditerranée, de l’Afrique du Nord, de l’Europe balkanique, des pays du Proche-Orient et des rives de la mer Noire, il est le dernier des grands empires du Vieux Monde et peut être considéré comme le successeur des empires romain, byzantin et arabe »(1).
Malgré tout, certaines régions ottomanes ont pu acquérir une relative autonomie par rapport au pouvoir central. Dans une certaine mesure, la construction de palais et de résidences somptueuses par les édiles locaux en Algérie et en Tunisie manifestait cette autonomie. Aussi, est-il intéressant d’examiner de quelle manière s’est historiquement opérée cette émancipation dans ces deux pays du Maghreb.
LES DEYS AU POUVOIR
À partir du XVIe siècle, l’Espagne, sous le règne de Ferdinand le catholique, engage ce qu’on a appelé la « croisade africaine » pour s’emparer du Maghreb central. Mais à sa mort, les Algérois firent appel à l’un des frères Barberousse, Arrouj, des corsaires turcs qui ont fait leur réputation en s’attaquant aux bateaux chrétiens et surtout espagnols. Grâce à eux, les ennemis furent alors repoussés, permettant ainsi à Arrouj d’étendre son pouvoir sur les territoires du Maghreb central jusqu’à ce qu’il périsse en 1518.
C’est son frère Khaired-Din qui poursuivra son œuvre et sera le fondateur de la Régence d’Alger tout en restant sous le joug du pouvoir central de l’Empire Ottoman. C’est d’ailleurs le sultan Sélim, régent de l’Empire, qui le nommera « beylerbey » (émir des émirs). Ainsi, entre 1529 et 1587, les Beylerbey se succédèrent, jusqu’à ce que le Sultan transforme la Tripolitaine, la Tunisie et l’Algérie en trois régences administrées par des Pachas entre 1588 et 1659. Mais au cours du XVIIe siècle, Alger va se dégager peu à peu de l'autorité du sultan, faisant émerger de nouveaux pouvoirs, notamment les Aghas entre 1659 et 1671. Mais ce sont finalement les Deys qui constitueront, après 1671, la plus haute autorité puisqu’ils seront directement désignés par le Diwan, l'assemblée politico-religieuse contrôlée par les janissaires d'Alger.
Afin de gouverner le territoire localement, les Deys désignèrent des Beys dans chacune des provinces, à Oran, à Médéa et à Constantine. Finalement, en 1711, le dixième Dey de la Régence d’Alger, Ali Chaouch, refusa d'accueillir un envoyé de Constantinople. Cet acte fut à l’origine de négociations auprès du Sultan Ahmed III qui aboutirent à une indépendance de fait de l’Algérie. Le lien avec Constantinople n’était plus que symbolique.
LA TUNISIE BEYLICALE
Concernant le territoire de l’actuelle Tunisie, le corsaire Khaired-Din s’empara également de Tunis le 18 août 1534. Mais l'empereur espagnol Charles Quint reprit la ville de Tunis l’année suivante des mains des Ottomans. En 1574, la Tunisie repousse définitivement les envahisseurs européens; elle se trouve placée sous souveraineté ottomane jusqu’en 1881, année de la signature du Traité du Bardo qui instaurait le protectorat de la France.
A partir du XVIIe siècle, le rôle des Ottomans ne cessa de décroître au profit des dirigeants locaux qui s’émancipèrent progressivement de la tutelle du sultan de Constantinople. De quelle façon s’est donc opérée cette évolution? Le pouvoir central placera dès 1590 à la tête de l’État tunisien, une sorte de commandant militaire appelé « Dey », ainsi qu’un « Bey » sous ses ordres et chargé du contrôle du territoire et de la collecte des impôts. Notons donc que le statut de « Dey » et de « Bey » ne correspond pas aux mêmes fonctions en Tunisie et en Algérie. Mais progressivement, le Bey, qui était en réalité le pourvoyeur des finances du territoire, prit de plus en plus d’importance. Il gagna alors en autonomie, non seulement par rapport au Dey mais aussi et surtout par rapport au sultan ottoman, au point que Mourad Bey fondit en 1613 la première dynastie beylicale à laquelle allait succéder, à partir de 1705 et jusqu’en 1957, celle des Husseinites.
Sources:
1 : François GEORGEON, Robert MANTRAN, « OTTOMAN EMPIRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24.01.2015. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/empire-ottoman/
2 : - Charles-André JULIEN, Histoire de l’Afrique du Nord, Paris, Payot, 1952
- http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gence_d%27Alger
3 : - Charles-André JULIEN, Histoire de l’Afrique du Nord, Paris, Payot, 1952
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Tunisie_beylicale